Peut-on corriger le biais anti-jeune du marché de l'emploi?

Publié le par Stéphanie Fougeras

Les contrats courts (CDD, contrats saisonniers, intérim, stages, contrats aidés et apprentissages) sont presque exclusivement réservés aux moins de 30 ans.

REUTERS/Vincent Kessler

Surreprésentés dans les contrats précaires, les jeunes sont devenus la variable d'ajustement du marché de travail. Pour Alexis Normand, de la Fondation Concorde, aucun politique n'ose s'attaquer à une réforme de fond. 

[Express yourself] Le nouveau Président de la République a fait de la jeunesse une priorité nationale. Quand trois étudiants français sur quatre déclaraient dans un sondage Ifop avoir le sentiment d'appartenir à une "génération sacrifiée" en 2011, la prise de conscience paraît salutaire. Mais les Français et leurs dirigeants auront-ils le courage d'accepter les remèdes aux maux qui accablent la jeunesse ?

 

Il est permis d'en douter si l'on s'attarde sur le front de l'emploi, où la situation des jeunes ne cesse de se détériorer depuis 40 ans. Aucun candidat à la présidentielle ne s'est risqué à détailler de réforme structurelle pour remédier aux échecs passés, comme si les Français n'étaient pas prêts à y consentir. C'est sans doute parce que les jeunes sont devenus la variable d'ajustement d'un marché de travail scindé entre salariés protégés et outsiders. Remédier à cette iniquité ferait trop de perdants, et le politique n'a pas encore su inventer une solution acceptable par tous. 

 

La France se prive de ses forces les plus productives pour l'avenir 

 

Les jeunes souffrent d'un chômage historiquement élevé: en 2011, 22,8% des 15-24 ans étaient au chômage, contre près de 8% pour les 25-49 ans. Ce record fait suite à une dégradation continue depuis le début des années 70, quand le taux approchait les 5%. Même le chômage des jeunes ayant achevé leur formation initiale depuis moins de cinq ans a augmenté, passant de 11,6% en 1976 à 17,6% en 2009. Comme les jeunes sont en moyenne plus qualifiés que leurs ainés, la France se prive de ses forces les plus productives pour l'avenir. 

 

Une précarisation accrue

 

Cette dégradation s'accompagne d'une précarisation accrue, car les contrats courts (CDD, contrats saisonniers, intérim, stages, contrats aidés et apprentissages) sont presque exclusivement réservés aux moins de 30 ans. Créés pour abaisser les barrières à l'embauche, ils sont au contraire devenus le symbole d'un marché à deux vitesses, marqués par un profond clivage générationnel. Selon la Dares, 49,7% des salariés de 15-24 ans étaient concernés par ces "formes particulières de l'emploi" en 2009, contre seulement 12,6 % des actifs sur l'ensemble de la population. 

 

Les contrats courts ont aggravé le phénomène 

 

Loin de constituer un remède au chômage, les contrats courts ont aggravé le phénomène. Comme l'a montré le prix Nobel d'économie Dale Mortensen, le chômage des nouveaux entrants est fonction directe du niveau de protection dont bénéficient les personnes dans l'emploi. Le coût élevé d'une embauche ratée en CDI incite les employeurs à embaucher en contrats courts. 

 

Pour transformer son CDD en CDI, un employé doit démontrer un "saut" de productivité au moins égal au coût d'une éventuelle erreur de casting, faute de quoi il est plus avantageux d'embaucher une autre personne en CDD. Il s'en suit un turnover important des publics concernés, qui enchaînent contrats précaires et périodes de chômage, elles-mêmes sources de déqualification. 

 

Stigmatisation et déqualification

 

Ceci est d'autant plus dramatique que la situation à 30 ans détermine toute la suite d'une carrière. Un premier échec conditionne les perspectives à tout âge ultérieur. Source de "stigmatisation", la simple expérience du chômage accroît le risque de chômage et réduit les revenus futurs. Plus la période de chômage est longue, plus le risque de dépendance à l'égard de la voie suivie est important. 

 

En clair, la dégradation des perspectives des jeunes les prive du droit à une seconde chance. C'est particulièrement vrai pour les non-diplômés. Alors qu'environ 150.000 jeunes par an arrivent sur le marché du travail sans diplôme, le système éducatif produit lui-même une bonne partie des laissés pour compte. 

 

Les recettes d'hier ont échoué 

 

Face à cette situation, les pouvoirs publics d'aujourd'hui ne sauraient appliquer les recettes d'hier qui ont échoué. Preuve de leur inefficacité, l'augmentation des contrats aidés depuis le milieu des années 70, passés de quelque 4% du total des emplois des moins de 26 ans à 25% en 2010, a suivi très exactement l'augmentation du chômage des jeunes. Les solutions avancées pendant la campagne (emplois aidés, contrats de génération ou service civique) ne sont guères plus innovantes. Elles ne répondent pas aux problèmes de fond, à savoir le dualisme du marché du travail, le coût du travail et la déqualification des jeunes. 

 

A-t-on vraiment tout essayé? Le contrat unique, évoqué à gauche comme à droite en 2007, reste absent de l'agenda des réformes. En permettant aux salariés d'accumuler des droits protecteurs en fonction de leur ancienneté (durée du préavis, prise en compte dans un plan social, etc.), il briserait le dualisme pernicieux du marché du travail, sans remettre en cause les situations acquises. C'est le diagnostic qu'a fait Mario Monti. En se substituant aux actuels CDD et CDI, il réintroduirait la flexibilité qui mine notre compétitivité. Il faciliterait l'insertion durable des jeunes. Les Français sont-ils prêts à prendre le risque d'offrir un avenir à la jeunesse? 

 

Alexis Normand est membre de la Fondation Concorde. 

L'étude complète de la Fondation Concorde Notre jeunesse a-t-elle encore un avenir? est disponible sur www.fondationconcorde.com

Publié dans Les jeunes diplômés

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Blog(fermaton.over-blog.com), No-7,- THÉORÈME DES BOUQUETS.- L'avenir des jeunes.
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